Il est presqu’impossible de passer devant le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Cocody, près de la clôture de la MAPE (Maison Protestante de l’Etudiant) sans s’arrêter devant le commerce de bananes braisées de cette sexagénaire appelée affectueusement « maman de Nadia » : sa fille aînée. La clientèle apprécie le goût varié de ses bananes ; il y’en a pour ceux qui aiment les bananes mûres et pour ceux qui apprécient les non-mûres. Ce met se déguste accompagné des arachides grillées.
Une activité familiale
Un client rencontré sur le lieu du commerce rappelle à la maman de Nadia que c’est depuis 1992 qu’il achète. Cette affirmation suscite l’admiration d’un autre client. Mais la surprise vient de son époux, Sonezere Marcel, qui est son aide dans cette activité. Il dit : « Tu ne l’as pas connu jeune sinon, elle est installée ici depuis l’année 1978. » A l’époque, entre les cours qu’elle suit au collège et le temps des révisions à la maison, Sawadogo Lamoussa, de son vrai nom, passe donner un coup de main à sa mère. C’est à se demander si cette activité ne se transmet pas de mère à fille. Car, il y’a quelques années, ses filles Nadia, Sonia, Paco habillées en tenues scolaires lui ont donné un coup de main afin de servir la clientèle accourant de plus en plus nombreuse à l’heure de pointe (entre midi et deux). Aujourd’hui, elles sont toutes détentrices du BAC au moins, elles ont poursuivi des études supérieures et sont en quête d’emplois. C’est avec ce commerce que tous ont été scolarisés. Tous parce que le benjamin de la famille est un garçon, Bouba, nouveau bachelier.
1978-2019, plus de 40 ans que la maman de Nadia exerce aux alentours du CHU. Bon an, mal an, ballotée, déguerpie, réinstallée au gré et aux humeurs des responsables du CHU et de la Mairie de Cocody, elle a toujours gardé cette même vigueur et cet amour pour son activité. « J’ai voulu parfois arrêter et me consacrer à un autre type de commerce, mais mon attachement à ce commerce et les liens que j’ai tissé avec la clientèle m’ont toujours ramené à cet endroit » nous confie-t-elle avant d’ajouter : « Prendre ma retraite, j’y pense sérieusement car ce travail n’est pas facile. Mais, j’attends que mes enfants trouvent tous du travail avec les diplômes qu’ils ont. Je pourrai me reposer un peu, le cœur en paix. »
Une Activité diversifiée
La mère de Nadia n’a toujours pas vendu que des bananes braisées. Même si son étalage actuel n’est fait que d’un feu avec un grillage et des bananes au-dessus. On observe juste à côté des arachides déjà grillées, soigneusement trillées et mises en sachet par son fidèle époux, le père de ses enfants qui partage sa vie depuis 1977. Tous les deux déploient une belle complicité dans leur tandem. Elle a aussi vendu de l’igname grillée, de l’alloco (bananes plantain frites), de l’attiéké (met traditionnel ivoirien à base de manioc) au poisson. Ce genre de chose est facile à faire quand on a de la vigueur ; « en plus, les enfants étaient plus jeunes et disponibles pour m’aider » parlant de ses filles.
Vendeuse de banane braisée mais instruite
Avec son « niveau 3ème », il n’est pas rare de voir la maman de Nadia suivre l’actualité en lisant des journaux et magazines. Elle aborde facilement la question de la paix en Côte d’Ivoire en invitant les dirigeants et futurs candidats à rechercher la paix et le développement, en mettant surtout en place un véritable programme d’entrepreneuriat. Cela passe par la mise en place d’un fonds pour aider à débuter et développer une activité en tant que jeune ou femme.
Elle a connu des déceptions, notamment la destruction de leur maison (projet de toute une vie) en 2011 dont elle parle avec mélancolie. En effet, les bénéfices de son activité commerciale, outre la scolarisation des enfants, ont servi à bâtir une maison en dur sur le site entre le CHU et les résidences universitaires de Mermoz et du campus de Cocody. Malheureusement, après la crise post-électorale, tout ce site a été déguerpi sans dédommagement pour des questions de sécurité, selon les autorités. Mais cela n’a pas freiné sa volonté à réaliser une fois de plus une autre construction.
La MAPE et ses occupants, une histoire de partage.
Evoquant l’Association Chrétienne des Elèves et Etudiants Protestants de Côte d’Ivoire (ACEEPCI), son visage s’illumine comme si c’était sa plus belle rencontre sur les bords de la lagune Ebrié. Cette Association, a son siège à la MAPE devant lequel elle fait son commerce. Les membres de l’ACEEPCI font partie de sa vie, elle a vu des générations d’étudiants se succéder. Elle connait presque la majorité ainsi que les aumôniers. Elle affirme « quand je sais que c’est un aceepciste qui vient acheter, je le sers un peu plus que le prix qu’il demande. Je sais que c’est un étudiant, il n’a pas assez de moyens mais demain, il sera un grand du pays». La majorité a bénéficié de ces largesses ; elle a même adopté un des anciens étudiants de l’Association du nom d’Aristide Gaé. Par conséquent, elle porte aussi le nom de la maman d’Aristide. Cette dame, maman des aceepcistes, est d’origine Burkinabé. Elle est née à Adjamé un 27 mars à la veille de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Naturalisée ivoirienne, elle reçoit régulièrement la reconnaissance de ces « enfants » devenus aujourd’hui des cadres de la nation. Qui par des dons, qui par des salutations au passage et même des invitations à des cérémonies de soutenance de thèse, mariages …
Signé Ezéchiel BONI
La journée du 8 mars doit être revisitée
Très au parfum de l’actualité, cette maman s’interroge : « et si les femmes prenaient à cœur la célébration de leur journée du 08 Mars en proposant plusieurs uniformes pagne wax, pagne tissé pour les filles, les jeunes dames et pour les mamans ? Et si les hommes participaient en se mettant dans la peau des femmes ? » Voici des idées qu’elle avance, forte de son expérience du pays des hommes intègres.
En passant entre le CHU de Cocody et la MAPE, n’hésitez pas à commander et à déguster une banane braisée accompagné d’un petit sachet d’arachides grillées, recette appelée « Blissi Tébil » au pays de Didier Drogba.