Sa vie comme au monopoly : dettes, banque, prison, case départ…

Mabine revient de loin. Cette dame qui cultive, transforme et commercialise le curcuma à petite échelle a vu les cinq dernières années de sa vie se dérouler comme dans une partie de Monopoly. Partir de Suisse pour choisir de s’établir dans son pays la Côte d’Ivoire et y vivre, entreprendre, gagner sa vie honnêtement ; voilà son projet initial. Mais elle a presque traversé l’enfer pour en arriver là où elle est aujourd’hui.

Mabine est une femme ivoirienne de taille moyenne. C’est une africaine avec la peau noire,  et les cheveux naturels; une vraie touffe sur la tête qu’elle coiffe à sa guise. Elle a vécu pendant 20 ans en Europe, parle Couramment Français, Anglais, Italien et Allemand. Il est difficile de lui donner un âge tellement elle semble jeune, intemporelle. Elle travaille à son propre compte et propose des produits alimentaires et cosmétiques bio qui sont fabriqués artisanalement.

Mabine est mère de 2 garçons et a développé comme devise cette phrase : “Ce que je trouve, je fais.” L’observer simplement ne laisse pas deviner son vécu, ses déboires, sa vie.

Pourtant Mabine se présente sans édulcorant. Elle confie, faisant un résumé de son vécu récent et dont elle est en train de sortir petit à petit : “Je vivais en Europe; en Suisse précisément mais j’avais eu quelques petits soucis avec la justice ici en Côte d’Ivoire pour de petites affaires que je faisais en 2014. Je devais rembourser mes créanciers”. Elle s’organise depuis l’Italie, se trouve un associé italien et monte un projet. Cela va servir à éponger ses dettes. Entre temps, elle rencontre un homme qui lui fait sa demande en mariage sur Facebook. A cet homme, elle ne cache rien de ses démêlées avec la justice. Elle a même la bonne idée que ce dernier soit une sorte de trait d’union entre ses créanciers et elle.

L’histoire tourne court

Le projet de Mabine est tout simple, faire venir un conteneur de marchandises de 40 pieds. Principalement de la friperie. La vente de ces vêtements va permettre de payer ses créanciers. Une liste est établie et remise à son amoureux. Malheureusement, les choses se passent mal, son bien aimé ne gère pas les affaires comme prévues malgré l’arrivée de son associé italien. Les créanciers ne sont pas remboursés et Mabine décide de rentrer au pays en vue de prendre les choses en main. La désillusion l’attend sur place. Son chéri l’a arnaqué et le business n’a pas produit le résultat escompté.

Suite à cette débâcle amoureuse et financière, elle doit se reprendre. Tout arranger avec ses créanciers, rattraper les forfaits de son “mari”. Elle rentre donc au pays mais tout va mal. Cette bonne dame se retrouve à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA) où elle séjourne pendant 4 mois. Elle en ressort dépouillée, humiliée, parfois même rejetée. Mais il faut vivre et elle n’a plus rien. C’est un sursaut de lucidité qui lui fait comprendre que sa créativité et son ambition n’étaient pas emprisonnés. Avec moins de 5000 F CFA, elle transforme de la farine de mil et de maïs en granulés pour faire la bouillie. Elle commence à produire et vendre ses granulés et étend petit à petit son activité. Mais n’ayant pas vraiment de capital solide, les choses évoluent en dent de scie.

Retour à la terre

C’est ainsi que Mabine se retrouve au village, dans le nord de la Côte d’Ivoire, précisément dans la région de la Bagoué (Boundiali). Là elle devient une vendeuse ambulante de thé glacé et continue de produire ses granulés de mil qu’elle convoie sur Abidjan. C’est là bas, dans sa région d’origine, en pleine savane ivoirienne qu’elle décide d’implanter son business. Là bas, elle reconnaît parmi les plantes dans un champ, le curcuma. Elle essaie donc d’en cultiver sans trop y croire. Le curcuma, pousse, et se développe correctement à son grand étonnement. “On m’avait dit que notre climat et notre sol n’étaient pas favorables à la culture du curcuma. Cette plante est généralement cultivée dans le Maghreb. Alors j’ai jeté des plants comme ça au hasard dans mon champ et j’ai vu que ça se développait normalement. Et je t’assure que le produit n’a rien à envier à ce qui vient du Maroc” déclare-t-elle.

 Avec toute cette récolte, il faut bien faire quelque chose. Elle fait appel à son ingéniosité et se lance dans la transformation du curcuma. Elle n’abandonne pas la production de granulés de mil et diversifie même son activité par la vente d’épices d’assaisonnement. Un véritable grenier approvisionné depuis la Bagoué. Elle a pu commencer grâce à des amis qui ne lui ont pas tourné le dos. “Certains amis ont fait preuve de générosité en m’apportant une petite aide financière; ça été le carburant de mes ambitions ; je réinvestissais systématiquement le bénéfice dans le capital pour faire plus chaque fois” affirme Mabine avec sérénité.

Renaître de ses cendres

Faisant la navette entre Abidjan et Boundiali, Mabine n’a pas le temps de bien asseoir son activité. Au départ, elle s’installe à Abidjan quoique n’y ayant pas un chez elle. Elle est hébergée par une tante qui la laisse utiliser sa terrasse comme unité de production pendant la journée. C’est là que les choses se précisent pour elle. Recette de grand-mère en tête, elle fabrique du savon noir à base de potasse vierge, d’huile de coco, de curcuma et bien d’autres ingrédients dont elle a le secret. Elle s’essaye à la production de shampoing et lance sa gamme de produits cosmétiques artisanaux. Elle insiste sur ce fait : “Je produis de façon artisanale pour rester fidèle à la recette de grand-mère que j’ai. C’est ce qui fait l’authenticité de mes produits. J’ajoute quelques ingrédients soit pour parfumer, soit pour améliorer ma recette mais je reste collé à ce que j’ai appris”. Ce n’est peut-être pas ce que la citadine achevée qu’est Mabine entrevoyait au départ, mais elle renaît. Quand les choses se stabilisent, elle déplace toute son unité à Boundiali. Elle devient entrepreneure, là bas chez elle, dans la Bagoué.

Quand on veut savoir la source de cette force, cette motivation, elle répond : “Mes créanciers. Je veux plus que tout payer mes dettes, leur faire face avec courage et dignité et rembourser jusqu’au dernier centime. Je ne veux plus vivre ni travailler dans l’angoisse car à tout moment, cette histoire peut me retomber dessus…

La case départ a du bon

Aujourd’hui, Mabine poursuit son parcours à travers la promotion de ce qui vient de chez nous, de notre terroir, qui est propre à nous et fait par nous. “Je travaille sur ce projet depuis bientôt deux ans avec tout ce que ça comporte, comme galère, difficultés, et sacrifices, crois-moi, innover en matière d’alimentation avec nos produits n’est pas une partie de plaisir, c’est un travail extrêmement laborieux. Je ne me contente pas de faire du copier-coller. Il faut chercher, découvrir, assembler, créer des recettes, les faire tester, avoir l’approbation des potentiels clients et leur avis pour être sûr que c’est un produit qui appellera et retiendra.” C’est tout un programme.

En tout cela, elle espère rentabiliser son activité; sa plus grande satisfaction sera de positionner ses produits à grande échelle. Pour le moment, elle travaille sur le conditionnement, les visuels, la charte graphique. Elle a des rêves plein la tête et souhaite tous les réaliser. Vous trouverez avec elle des granulés de mil, des épices d’assaisonnement, de l’huile de curcuma, du savon de toilette liquide, du shampoing, du curcuma en poudre pour la cuisine ou pour les besoins cosmétiques, des friandises à base de baobab et bien d’autres. Elle insiste pour dire qu’elle est complètement autodidacte dans ce domaine. Elle n’a suivi aucune formation pour tout ce qu’elle fait en ce moment.

Cette femme nous donne des leçons de persévérance et de courage. Ce n’est pas un drame de passer par la case prison. Le jeu, la vie peut reprendre à la case départ. Selon Mabine, “à bientôt 50 ans, on peut tout recommencer à zéro. Il suffit juste d’avoir le courage et l’abnégation nécessaire pour aller de l’avant”.

Pour finir, elle demande aux femmes qui veulent se lancer de tenir bon. Il n’y a aucun accompagnement pour celles qui veulent entreprendre. Le terrain est dur mais il faut persévérer.

 

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4 Comments

  1. Très belle histoire. Je suis très fière de toi. Car tu n’as jamais baissé les bras. Ta motivation “tes créances” a réussi à briser toutes les barrière. Tu es une femme digne de confiance et d’espoir pour toutes ces autres femmes qui se trouvent actuellement au fond du gouffre. Il y’a toujours de l’espoir si et seulement s’il existe une source de motivation.

  2. J’admire le courage de Mabine. Comment commander à distance et livrer en France ? Je suis fan de la gamme de produits proposés. Par ailleurs, n’hésitez pas à prendre le temps de faire breveter les produits (propriété intellectuelle) en Côte d’Ivoire ou à l’étranger. C’est pour le présent et pour l’avenir que cet investissement m’impresdionne. Les débuts sont difficiles mais cela en vaut la peine. Courage, Gilberte

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